Si je te dis équilibre vie privée – vie professionnelle, tu me dis mythe ou réalité ?
Le psychologue du travail Adrien Chignard te donne toutes les clés pour en faire une réalité, dans cet échange que j’ai eu le bonheur d’avoir avec lui.
Bonne lecture. 🍿
Hello Adrien, bienvenue à toi, et merci d’avoir accepté cet échange.
Accepterais-tu de nous dire un peu plus sur toi ?
Je suis psychologue du travail et des organisations et je suis spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux au travail. J’ai 3 activités : je dirige un cabinet de conseil, j’enseigne dans des universités, et j’écris.
En parlant de livre, tu me tends une perche. Il me semble que tu as récemment sorti un tout nouveau livre. Peux-tu nous dire de quoi il s’agit ?
Oui, c’est un livre pour enfant qui s’appelle « L’histoire de la petite goutte d’eau qui s’en voulait d’avoir fait déborder le vase ».
C’est le premier livre pour enfants qui permet d’expliquer à un enfant le burn-out d’un parent.
Super intéressant et merci pour cette présentation.
Et si on rentrait dans le vif du sujet, en parlant de burn-out, on va parler de bien-être au travail aujourd’hui.
Comment est-ce que tu définirais le « bien-être au travail » ?
LA DEFINITION DU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL
Le bien-être c’est un peu comme la santé, tel que décrit l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Ce n’est pas juste l’absence de mal-être, c’est aussi un sentiment d’actualisation de soi, et je le résumerais en 2 points.
- Le sentiment d’avoir un travail qui soit générateur de plaisir.
- La sensation d’avancer et de se réaliser en cohérence avec nos propres valeurs.
Se sentir bien au travail c’est éprouver du plaisir dans ce qu’on fait, et avoir le sentiment d’avancer et de se construire.
Et pourquoi est-ce que ce bien-être au travail serait important pour la santé et la performance des salariés ?
L’IMPORTANCE DU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL SUR LA SANTE ET LA PERFORMANCE DES SALARIES
La santé est un déterminant ou un antécédent de la performance au travail. La vocation d’une entreprise c’est de produire de la valeur, et pour produire de la valeur, il faut avoir des personnes en bonne santé.
Prenons l’exemple de quelqu’un qui va bosser avec 40 de fièvre et qui s’est tordu la cheville, tu peux imaginer que sa productivité ne va pa être la même que si tout allait bien.
Donc l’idée c’est de faire de la santé mentale, du bien-être au travail, un des déterminants, une des composantes, un des ingrédients de la performance. C’est important parce que ça permet à l’entreprise de perpétuer sa raison d’être, et de créer de la valeur.
Merci à toi pour ces points d’attention.
Selon toi, quels seraient les principaux facteurs qui contribuent au bien-être au travail ?
LES PRINCIPAUX FACTEURS QUI CONTRIBUENT AU BIEN-ÊTRE AU TRAVAIL
On va parler de 3 principaux facteurs :
L’autonomie
J’ai la possibilité, dans un cadre donné, de faire des choix. Et lorsque ce n’est pas possible, on m’explique pourquoi.
La compétence
On me permet de faire usage de ce que j’ai appris. Je peux actualiser mes savoirs dans des pratiques du quotidien, on me fait des feedback constructifs
L’affiliation ou l’appartenance
On se préoccupe activement et sincèrement de mon bien-être. Par exemple, on évite de me dire « Tu as pris ton après-midi ? » quand je pars à 17h. Mais aussi, on évite de me discriminer sur des caractères illégitimes, et on me considère avec respect.
Et est-ce que tu penses que c’est quelque chose qu’on peut réellement mesurer ?
Oui bien sûr, il y a tout un tas de tests qui mesurent ces 3 déterminants.
Il existe même des échelles psychométriques pour des tests de psychologie spécialisés pour l’évaluation de ces formes de motivation. On a des tests qui permettent d’évaluer la santé mentale, d’autres pour mesurer la fidélisation, l’engagement. Donc oui, ça se mesure aujourd’hui très facilement.
Si quelqu’un cherche par exemple ce qu’on appelle la TAD, c’est-à-dire la Théorie de l’Auto-Détermination, il existe des échelles qui permettent de mesurer la motivation autodéterminée et qui vont nous donner des éléments sur notre motivation et sur notre sérénité.
Par exemple, vous pouvez chercher sur internet le WHO 5 (World Health Organization 5 Well-Being Index). C’est l’échelle de mesure du bien-être au travail de l’OMS, qui permet en 5 questions de pouvoir l’évaluer. Et c’est 100% gratuit.
Super, merci beaucoup pour ce précieux outil.
On a pas mal parlé de bien-être au travail, parlons à présent de mal-être au travail.
Penses-tu qu’il y ait des signes révélateurs de mal-être au travail ?
LES SIGNES D’UN MAL-ÊTRE AU TRAVAIL
Il y a des signaux individuels et des signaux collectifs.
Les signaux individuels
On peut parler de la règle des 3i.
Isolement
Si quelqu’un s’isole davantage, ne parle plus vraiment en réunion ou même ne vient plus boire un coup le soir après le travail, ou si même quand il est là il a la tête ailleurs, c’est un premier signal.
Irritabilité
Je suis de plus en plus susceptible, j’ai perdu mon sens de l’humour, je me mets en colère facilement.
Instabilité
Je change régulièrement d’humeur, j’ai des hauts et des bas très marqués
Voir la vidéo où Adrien explique plus en détails la règle des 3i.
Les signaux collectifs
Ici, on va avoir de l’absentéisme, de la conflictualité et des erreurs, qui sont des marqueurs d’une pénibilité forte du travail.
Ce sont des signaux que je vois très régulièrement, car c’est mon quotidien de voir des gens qui sont en difficulté au travail, c’est la raison d’être de mon entreprise.
Et s’il fallait donner un conseil aux personnes qui rencontrent ces signaux ?
CONSEILS POUR LUTTER CONTRE LE MAL-ÊTRE AU TRAVAIL
Je pense qu’il y a 2 choses importantes.
Déjà, on ne reste jamais seul avec sa souffrance et ses difficultés, parce que le premier rempart contre la détresse psychologique c’est le soutien des pairs, et rester seul c’est la double peine. Non seulement on va mal, mais on se prive en plus la possibilité d’aller mieux.
Ensuite, il faut savoir que le secret de la performance sous pression c’est la fréquence de la récupération. Plus on met régulièrement dans notre agenda des petites bulles pour se faire du bien, pour respirer, pour aller marcher, pour penser à autre chose, plus on a des temps fréquents où on récupère, plus on restaure sa santé mentale.
Merci beaucoup pour ce retour Adrien.
Parlons à présent des relations interpersonnelles au travail. Quels sont tes conseils pour les améliorer et renforcer le sentiment d’appartenance ?
AMELIORER LES RELATIONS INTERPERSONNELLES AU TRAVAIL
Il y a 2 principaux points pour les entreprises :
Augmenter la fréquence des échanges
Le conflit est inhérent aux situations de travail, tout comme il est inhérent aux histoires d’amour.
La question ce n’est donc pas pas d’éviter les conflits, mais de savoir les gérer quand ils arrivent. Et il faut des temps réguliers où on discute de ces sujets-là. Pour avoir des situations apaisées, le premier point est donc la fréquence des échanges.
S’intéresser aux ressentis des salariés
Pour travailler sur l’appartenance, il est important de prendre du temps avec son équipe pour les questionner sur leurs conditions de travail, leur métier, s’intéresser à leur vision et leur vécu pour ensemble créer une façon de faire, d’être, de travailler qui convienne à un maximum de personnes, et qui a été discutée ou débattue.
Il faut leur donner le sentiment que l’entreprise et le manager s’intéressent à leur vision des choses.
Et pour les salariés, une chose qui est primordiale
Partager son vécu avec son manager
Beaucoup de salariés viennent me voir et me disent il y a ça qui ne va pas, il y a tel souci au travail. Et quand je leur demande s’ils en ont parlé, ils me répondent « Bah non ! »
Si on ne parle pas des sujets problématiques, on ne peut pas s’attendre à ce que les autres s’en saisissent, les comprennent. Pour que les autres s’en saisissent, il faut que ça leur soit expliqué.
C’est comme les gens qui te disent « Je ne me sens pas assez reconnu ». Je leur répond d’accord, il est important en effet de se sentir reconnu. Vous en avez parlé à votre manager ? » Et là ils te disent « Bah non ! ».
Comment voulez-vous que votre manager agisse sur le sujet de la reconnaissance si vous ne lui dites pas que ça vous pose un problème ? Il ne peut pas le deviner.
Un manager ce n’est pas un magicien, ce n’est pas un devin.
Ce que peut donc faire un collaborateur dans ce genre de situation, c’est déjà commencer par parler à son manager, pour que ce dernier puisse agir.
Yes ! Mille mercis pour ce partage.
Impossible de terminer cet entretien sans parler du très connu équilibre vie privée-vie professionnelle.
Peux-tu nous partager tes astuces pour te fixer des limites pour prévenir l’épuisement professionnel et maintenir ainsi cet équilibre ?
PREVENIR L’EPUISEMENT PROFESSIONNEL
Là encore c’est la fréquence de la récupération.
Mon exemple
Moi tous les jours je vais marcher 10 000 pas, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente.
Là je sais que par exemple, ce matin j’avais une grosse réunion dans un comité de direction très tôt. Je suis rentré au bureau, j’ai dû bosser à fond, et ensuite je dois aller chercher mes enfants à l’école,
Donc quand je vais raccrocher, je vais prendre 15 minutes pour répondre à mes mails. Ensuite, j’ai 45 minutes pour aller marcher, et j’irai marcher en forêt jusqu’au moment où je vais aller chercher mes enfants.
En résumé
Les 10.000 pas
La fréquence de récupération pour moi c’est de me dire tous les jours je vais faire ces 10 000 pas, c’est ce qui me permet d’avoir une bonne santé mentale.
Récupérer les enfants
Je me suis organisé avec ma femme pour aller chercher mes enfants 2 fois par semaine à l’école, parce que ça m’oblige à finir à une heure précise ces jours.
Le conseil à retenir
Je me suis fixé des limites qui ne dépendent pas de ma motivation le jour-même, mais qui engagent d’autres personnes que moi auxquelles je tiens.
Il est ainsi plus difficile d’y déroger.
On retient l’importance de prendre des engagements qui impliquent d’autres personnes que nous et auxquels on ne pourra pas déroger, pour respecter plus facilement les limites que nous avons définies.
Merci beaucoup Adrien.
J’espère que tu es prêt pour la question fun. Si le bureau était une île déserte, quel objet insolite emporterais-tu pour booster le moral des salariés ?
C’est une sacrée question.
Je leur apporterais un petit bouquin qui coûte 2 euros et qui a changé ma vie. Il s’appelle « Le bonheur, désespérément » d’André Compte-Sponville.
C’est un bouquin qui nous apprend que l’espoir du bonheur nous en éloigne. Le bonheur il ne s’agit pas de l’espérer, mais de s’en saisir et de le construire.
Ceci permettrait de motiver tout le monde en comprenant que c’est l’action la chose la plus importante. Comme disait le philosophe Alain, le secret de l’action c’est de s’y mettre.
Et la question de la fin que je pose à tous mes invités.
Quel est le meilleur conseil carrière que tu aies jamais reçu / entendu ?
Il y a un patron qui m’a dit une fois « Sois raisonnable, ne fais que ce que tu aimes ».
J’ai trouvé ça génial parce que le jour où j’ai compris que mon meilleur moteur c’était le plaisir et la passion, j’ai quitté mon employeur, j’ai créé ma boîte.
Et là je ne suis plus jamais posé la question de la motivation, parce que je fais des choses avec des gens que j’apprécie, que j’ai choisis. Et la dimension plaisir dans ce que l’on fait, c’est toujours une façon d’être durablement motivé.
Sois raisonnable, ne fais que ce que tu aimes.
Mille mercis Adrien pour cet échange qui je l’espère offrira de nombreuses pistes de réflexion aux lecteurs . ❤
Et si tu souhaites aller plus loin, tu peux retrouver Adrien sur LinkedIn. Il y partage régulièrement ses réflexions et articles, et c’est 100 % gratuit.
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